Vers Lui est le retour

12 aprile 2009


Les considérations suivantes s’inspirent des réflexions exprimées par le Père Christian W. Troll S.J., à l’occasion de la conférence du 18 février dernier au PISAI de Rome, sur le thème Dialogue and Truth-claimes in Christianity and Islam. Le Président de la CO.RE.IS. (Communauté Religieuse Islamique) Italienne, Shaykh ‘Abd al-Wahid Pallavicini, y était présent.

Nous voudrions aujourd’hui présenter à nouveau certains thèmes déjà traités par la CO.RE.IS. dans le passé, conscients de l’importance de leurs contenus et de leur caractère « original » et « atypique » dans le paysage actuel du dialogue interreligieux.

La question essentielle du dialogue interreligieux est de savoir si nous sommes capables de reconnaître la Vérité présente dans les autres religions tout en restant totalement fidèles à la nôtre. Nous voulons témoigner ici, en tant que musulmans, que cela est possible, et qu’il est également possible de reconnaître la pleine et entière Vérité de toutes les religions orthodoxes, ainsi que leur validité salvatrice, tout en en pratiquant une et une seule naturellement, sans confusion ni syncrétisme. Il suffit, en effet, de comprendre que cette unité de la Vérité n’est pas de nature formelle, ni une affaire de langage, mais descend entièrement du mystère de Dieu, Qui a providentiellement voulu que les religions soient différentes, comme le sont les hommes eux- mêmes.

En effet, la religion vraie est une : la Vérité même, dévoilée et révélée par Dieu en des temps et des lieux différents, sous des formes multiples, pour des communautés diverses, comme le rapporte le saint Coran dans le passage cité également par le Prof. Troll : Si Dieu avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. Mais Il veut vous éprouver en ce qu’Il vous donne. Concurrencez donc dans les bonnes œuvres : c’est vers Dieu qu’est votre retour à tous ; alors Il vous informera de ce en quoi vous divergiez. (Coran 5 : 48) Le Pape Jean-Paul II voulut donner un écho tout à fait significatif à ce message coranique, durant sa visite à Casablanca en 1985, lorsque, à propos de nos différences, il déclara : « Il est un Mystère sur lequel Dieu nous illuminera un jour, j’en suis certain. »

Ce qui empêche la plupart des hommes d’aujourd’hui de reconnaître toujours et partout la Vérité, au nom d’une prétendue et illusoire « liberté », est la perte de ce sens du Mystère, et, par conséquent, la prétention de maîtriser et d’être propriétaires de « leurs » idées, de « leurs » formes religieuses et de « leurs » expressions théologiques. Si les hommes maintenaient au contraire une ouverture vers l’incommensurabilité des enseignements divins, ils découvriraient, dans les apparentes contradictions entre les différentes expressions « dogmatiques », un signe de la Miséricorde divine et une épreuve pour l’humanité.

La cause de la difficulté du christianisme actuel, ou peut-être surtout du catholicisme, à accepter l’origine divine et la validité salvatrice des autres religions orthodoxes (c’est-à-dire qui sont demeurées conformes à la doctrine métaphysique) est due à la façon actuelle dont le catholicisme en conçoit l’expression théologique dans un sens historique et anthropologique, au point d’oublier presque l’universalité des principes métaphysiques sur lesquels cette expression théologique se fondait à l’origine, et sans lesquels elle se réduit à un formalisme vide. Une chose similaire s’est produite dans l’Islam quand le développement excessif de la science juridique (fiqh) et de la théologie spéculative (‘ilm al-kalâm) conduisit, d’un côté, au littéralisme, et, de l’autre, à l’exclusivisme, entraînant dans les deux cas un appauvrissement de la religion.

De nos jours, à cause de ces déviations respectives, chrétiens et musulmans, prétendant absolutiser ces formes d’expression du sacré, ont du mal à se rappeler que celles-ci ne représentent pas une fin en soi, mais plutôt un moyen d’élévation spirituelle, un langage pour se référer à ce qui les transcende. Le but de la religion est effectivement de reconduire les hommes à Dieu, et ce but est inhérent à la Création même. Depuis l’origine du monde, les instruments providentiels permettant d’amener les hommes au salut et à Sa connaissance n’ont jamais manqué.

La multiplicité des formes n’est pas seulement présente dans la variété des rites et des dogmes pratiqués et professés par des civilisations différentes, mais aussi au sein de chaque tradition religieuse, comme dans l’expérience de chaque homme, lequel a souvent du mal à reconnaître la Providence divine derrière les contingences de la vie. Cette multiplicité explique le débat qui continue depuis des siècles, par exemple, entre partisans des symboles anthropomorphiques et ceux de l’aniconisme, si ce n’est de l’iconoclasme. Il s’agit en effet de deux approches complémentaires qui renvoient aux dimensions de la Transcendance et de l’Immanence divines, nécessaires pour établir correctement la relation à Dieu, et pour pouvoir L’aimer et Le connaître dans Sa forme la plus élevée : Ayez de Dieu la conception la plus haute, recommande un hadith important du Prophète Muhammad.

C’est justement cette conception de la qualité absolue de Dieu qui doit amener l’homme à se soumettre à Sa volonté, et telle est la signification du mot islâm. La forme de ce nom dans la langue sacrée de l’arabe révélé appelle le croyant à une dimension active et non passive, lequel doit se disposer à harmoniser sa volonté propre avec la Volonté de Dieu. Cela comporte nécessairement une dimension de connaissance : pour pouvoir faire la Volonté de Dieu à chaque instant il faut savoir la discerner. Ce discernement doit passer à travers les guides providentiels qui ont été donnés à l’homme, c’est-à-dire la pratique quotidienne des rites religieux, l’acquisition des vertus en imitant le modèle prophétique (sunna), et l’obéissance à la Loi sacrée (sharî‘a). Ce sont ces aides à l’orthopraxie religieuse qui permettent une véritable communication – ou communion – du musulman avec la Parole coranique, qui est récitée durant les cinq prières quotidiennes, et mise en œuvre dans chaque action religieuse.

Le Coran est appelé en islam al-Furqân, « le discernement », et c’est cette participation rituelle à la Parole révélée qui permet au fidèle de dépasser ses particularités individuelles, en adhérant au modèle de perfection du Prophète, et en revêtant donc ses qualités spirituelles supra-individuelles. La racine du mot islâm renvoie ainsi à la vraie Paix, as-Salâm, qui est un des Noms de Dieu, fruit et moyen de cette soumission : Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée ; entre donc parmi Mes serviteurs, et entre dans Mon paradis. (Coran 89 : 27-30)

Le rapport entre soumission et liberté, et finalement entre Vérité et liberté, constitue également le thème principal de l’intervention du Prof. Troll. En effet, le croyant est libre d’adhérer à la promesse divine d’une récompense incommensurable dans l’Eternité, et par conséquent de conformer ses actions à la Loi divine. A cet égard, il est important de rappeler que l’Eternité et les mondes supérieurs ne font pas seulement partie d’une « promesse future », mais sont en réalité toujours actuels et immanents ; l’homme sera d’autant moins capable et conscient d’en bénéficier qu’il se sera éloigné de la conformité religieuse. Le Prophète ne disait-il pas : Le Paradis est plus proche de chacun de vous que le lacet de sa chaussure, et il en est de même de l’Enfer ? (Bukhari)

Ce qui a été dit pour l’islam n’en est pas moins vrai pour les autres religions ; si, en effet, la voie de sainteté dans le christianisme est toujours passée par l’Imitatio Christi, l’exemple éminent du Christ réside dans son acceptation de la Volonté de Dieu, dans les mots prononcés sur le mont des oliviers, où lors de son entretien intime avec le Père, il dit : Cependant, que se fasse, non ma volonté, mais la Tienne (Luc XXII, 42). D’autre part, dans la Révélation coranique elle-même, les paroles de Jésus nouveau-né, présenté par la Mère à son peuple, commencent justement avec l’attestation : Innî ‘abdu-llâh – « en vérité, je suis le serviteur de Dieu ». En outre, selon l’enseignement coranique, tous les fils et descendants d’Adam ont attesté au début des temps leur soumission au Créateur, suivant ce qui est révélé dans la sourate Al-A‘râf : « Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Adam et les fit témoigner sur eux-mêmes : “Ne suis-je pas votre Seigneur ?” Ils répondirent : “Mais si, nous en témoignons.” » (Coran 7 : 172)

L’évolutionnisme spirituel, qui voit dans l’avènement historique du Christ le couronnement de l’entière Création et dans les autres Révélations seulement des « semences du Verbe » (semina verbi) préparant le Christianisme même, résulte uniquement d’une déformation moderne de certaines expressions symboliques traditionnelles que l’on retrouve aussi dans d’autres civilisations. Ces expressions symboliques se réfèrent au fait que chaque homme ou communauté religieuse ne peut qu’entreprendre un chemin vers Dieu à partir du point où il ou elle se trouve. Ce point de départ représente pour elle le Centre, depuis lequel la descente divine qui s’adresse à elle ne peut apparaître que comme un couronnement. Dans l’unité de l’Etre, selon la parole du Christ « le Royaume des Cieux est en vous », chaque homme est appelé à reconnaître le Centre de la réalité comme point de départ pour s’annihiler soi-même devant Dieu. Et Dieu révèle dans le Coran : Nous leur montrerons Nos signes dans l’univers et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est la Vérité. Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit Témoin de toute chose ? (Coran 41 : 53)

La plupart des hommes d’aujourd’hui sont tellement empreints de certaines habitudes mentales à l’extériorisation qu’ils ne se rendent même plus compte des limites que celles-ci leur imposent. Un effort est donc nécessaire pour réussir à voir la réalité au-delà de ces voiles, et en cela la confrontation sincère avec les frères d’autres communautés religieuses peut sûrement aider à maintenir une juste tension métaphysique. Le hadith dit que le croyant est le miroir du croyant (Abu Dawud), et le Coran : Et ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre, sauf ceux d’entre eux qui sont injustes. Et dites : « Nous croyons en ce qu’on a fait descendre vers nous et descendre vers vous, tandis que notre Dieu et votre Dieu est le même, et c’est à Lui que nous nous soumettons. » (Coran 29 : 46)

Le saint Coran confirme de manière décisive, par exemple, la virginité de Marie et le fait que Jésus n’ait pas eu de père humain. De plus, ce qui sera inclus dans le dogme chrétien de l’Immaculée Conception (c’est-à-dire la naissance sans péché de Marie) était déjà explicite depuis les débuts de l’islam, comme le rapporte un hadith : Satan touche chaque fils d’Adam le jour où sa mère le met au monde ; excepté dans le cas de Marie et de son fils. (Bukhari) Le Coran lui-même affirme à ce propos : Quand les anges dirent : « Ô Marie, certes Dieu t’a élue et purifiée ; et Il t’a élue au-dessus des femmes des mondes. » (Coran 3 : 42) L’imam al-Qushayri souligne que « la répétition de l’expression de l’élection (istifâ’) particulière de Marie comporte deux aspects : le premier, c’est que “Dieu t’a élue en te donnant l’excellence, le rang spirituel et un état élevé” ; le second : “Il t’a élue et choisie pour que tu puisses porter en toi Jésus sans l’intervention d’un père humain, et aucune femme ne sera jamais égale à toi jusqu’à la fin des temps.” De là l’expression “parmi toutes les femmes de la Création”. »

Enfin, pour preuve de la forte présence des figures de Jésus et de Marie en islam, nous rappellerons que le Prophète Muhammad, retourné victorieux à La Mecque, tandis qu’il faisait détruire les idoles qui y était vénérées, étendit une main protectrice sur l’icône de la vierge Marie et de son fils, qui était peinte à l’intérieure de la Ka’ba. De plus, la maison de la vierge à Ephèse est depuis toujours un lieu de pèlerinage pour les musulmans. Toutefois, l’islam présente nécessairement une perspective « théologique » différente, alors qu’en Dieu ces contradictions apparentes disparaissent : des expressions théologiques comme « fils de Dieu » pour l’Evangile ou « Esprit de Dieu » (rûh Allâh) pour le Coran ne deviennent pas des obstacles pour celui qui se dispose à accepter que Dieu ait voulu s’adresser aux hommes avec des langages et selon des perspectives différentes (Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté…, comme nous l’avons vu précédemment). Il est significatif que les hérésies chrétiennes résultent d’une compréhension littéraliste des expressions comme « fils de Dieu », en travestissant son sens de façon presque « naturaliste » et anti-métaphysique. Le fait que l’Eglise a condamné tout au long de son histoire de telles tendances ne concerne pas la conception orthodoxe du Verbe éternel, qui s’« incarne » dans toutes les formes traditionnelles, même si dans le Christ cette identification s’est exprimée providentiellement sous forme humaine.

Si donc nous nous servons du terme « métaphysique » pour indiquer la doctrine de l’Absolu et des principes premiers au-delà de toute forme, c’est pour restituer à ce terme son sens étymologique, au-delà des spéculations philosophiques qui en ont diminué la portée au cours des siècles. Il ne s’agit pas, en effet, de dénaturer l’approche des religions en superposant à celle-ci une philosophie humaine. Au contraire, c’est le bénéfice inhérent à la pratique des rites religieux qui opère une clarification de l’esprit et du cœur de l’homme, et qui lui permet de s’élever au-dessus des formes sensibles. En fait, c’est plutôt la philosophie moderne qui a profané la raison humaine au point de corrompre la spéculation théologique et d’altérer la signification du terme « métaphysique ».

L’assimilation médiévale de la philosophie aristotélicienne et de sa terminologie dans les milieux juif, chrétien et musulman ne manifestait certes pas la volonté de réduire la portée de la Révélation, mais bien celle de pacifier les esprits par l’intermédiaire d’un langage approprié qui n’avait pas pour autant une origine profane, contrairement aux conceptions modernes qui voient en Platon et Aristote des « libres penseurs » avant la lettre. La véritable métaphysique est la conscience que la Vérité est Une, Immuable et Eternelle, présente dans toutes les Ecritures sacrées, comme l’affirme d’ailleurs le Prof. Troll lui-même dans son intervention, quand il parle de « metaphysical dimension of the Qur’anic message ». Cette Vérité absolue peut être connue par l’homme quelque soit l’espace et le temps de la Création, car où que vous vous tourniez, la Face de Dieu est là (Coran 2 : 115), et vers Lui est le retour (Coran 5 : 18).

L’homme se situe entre la transcendance de l’Unité divine et la multiplicité des formes contingentes. Il ne peut par conséquent concevoir l’Infini et le suprasensible que par le biais de symboles sensibles qui deviennent un support pour son intelligence capable de saisir par analogie ce qui transcende toute imagination. Tous les problèmes apparaissent en fait quand l’homme oublie cela, et prend le support sensible, le symbole, pour lui-même et en lui-même, tombant dans l’idolâtrie ou dans le shirk, le péché d’« associationnisme » – pour l’islam la racine de tout péché – c’est-à-dire le fait d’associer à l’unique Réalité, à l’Absolu, une autre prétendue réalité, quelle qu’elle soit.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le symbole dépend toujours de ce qu’il symbolise, lequel reste, comme principe, indépendant du symbole qui le manifeste. En d’autres termes, les Révélations n’épuisent jamais l’infinité de Dieu et la richesse de Son verbe, mais Le manifestent sous différents aspects, en mettant en relief certaines de Ses qualités parfaites, à travers une succession de Révélations qui seront toujours diverses, mais jamais contradictoires entre elles, au moins pour celui sait aller au-delà des apparences des formes pour percevoir leur origine essentielle commune : Dis : « Si la mer était de l’encre [pour écrire] les paroles de mon Seigneur, certes la mer s’épuiserait avant que ne soient épuisées les paroles de mon Seigneur, quand même Nous lui apporterions son équivalent en renfort. » (Coran 18 : 109)

Le saint Coran évoque une longue chaîne de prophètes et d’envoyés (anbiyâ’ wa mursalûn) d’Adam à Muhammad, lesquels, fidèles à cette Vérité qui est Dieu Lui-même, ont été les instruments providentiels à travers lesquels Il a adapté pour des temps, des lieux et des peuples différents cette unique Tradition primordiale dont le contenu est : lâ ilâha illâ Allâh, « il n’y a pas de dieu si ce n’est Dieu », l’Unique et le Même pour tous. Ces adaptations, qui ne doivent pas être entendues comme des appauvrissements ou pire des trahisons de la Vérité, ne sont autre que la succession des Révélations orthodoxes, pour rappeler les hommes à l’adoration du Dieu unique : Nous avons envoyé dans chaque communauté un Messager [pour leur dire] : « Adorez Dieu et écartez-vous des idoles ! » (Coran 16 : 36) Toutes ces révélations sont reconnues et confirmées dans leur validité par celle qui en est le sceau (khatm), l’islam, tout comme Muhammad est le sceau de la Prophétie.

La Tradition est donc unique, comme la Vérité même dont elle provient et à laquelle elle ramène. Cependant, elle prend différentes « formes traditionnelles », qui seront toutes « vraies », mais aussi « relatives » au regard de l’Absolu qui est seulement Dieu : Huwa-l-Haqq, Lui est la Vérité.

Dieu propose des symboles aux hommes. Et Dieu sait absolument tout. (Coran 24 : 35) La révélation coranique considère les différentes révélations comme autant de symboles (amthâl) du Verbe divin unique qui est au-delà de toutes les formes créées, Verbe qui s’est manifesté pour les juifs sous forme de Loi (at-Tawrâ) pour un peuple élu, pour les chrétiens sous la forme d’un Homme dans le Christ (al-Masîh ‘Isâ ibn Maryam), et pour les musulmans sous forme de Livre dans le saint Coran (al-Qur’ân). En réalité, c’est la dimension métaphysique du « message coranique » qui permet à l’islam de ne pas se considérer comme une religion nouvelle, mais bien comme une réactualisation de l’unique Tradition primordiale ou axiale (ad-dîn al-qayyim, ou dîn al-qayyima), qui remonte à la création d’Adam.

La patristique chrétienne elle-même n’ignore pas l’identité essentielle des formes religieuses et leur unité « par le haut », c’est-à-dire en Dieu, considérant celles-ci comme des reflets d’une source lumineuse unique, la nûr muhammadî, ou Sophia Perennis, comme disent les savants chrétiens. Sur la base de cette perspective fondamentale, Saint Augustin avait pu affirmer : « Celle qui s’appelle désormais religion chrétienne existait aussi chez les anciens et ne manqua pas depuis le début du genre humain, jusqu’au moment où le Christ lui-même vint dans la chair, et depuis lors la vraie religion, qui déjà existait, commença à s’appeler chrétienne. » (Retractationes I, 13, 3)

Les chrétiens contemporains du Prophète Muhammad rapportait déjà comment ce dernier affirmait être venu pour rétablir « blanche et pure » la religion d’Abraham, de la même façon qu’Abraham n’annonça rien d’autre que le monothéisme absolu (tawhîd) ou religion des purs adorateurs (dîn al-hunafâ’ : cf. Coran 98), affirmation de l’existence d’un Principe unique pour toute chose. Le terme tawhîd est normalement traduit par « doctrine de l’unicité de Dieu », et possède la même racine que l’attribut divin al-Wâhid, l’Unique. Du moment effectivement que Dieu est Un et Unique, le tawhîd est l’origine de toute détermination doctrinale spécifique, le cœur et l’essence de la doctrine religieuse. C’est la raison pour laquelle il constitue l’élément fondateur et indispensable du monothéisme.

Toute expression théologique, toute formulation doctrinale, pour chaque religion, perdrait donc toute légitimité sans le tawhîd, puisque celui-ci est le point de jonction entre la doctrine d’une religion spécifique et les principes éternels, métaphysiques, divins ; il est la « veine jugulaire » qui garantit l’orthodoxie et l’efficacité d’une religion, qui autrement se réduirait à une simple croyance conventionnelle, purement mentale et humaine.

C’est le tawhîd qui constitue l’élément vital d’une doctrine religieuse, et qui permet à celle-ci de véhiculer et de rendre accessible aux hommes une présence spirituelle réelle, une communion authentique avec le Dieu unique et transcendant. En effet, les Prophètes et les Saints n’ont fait que rétablir la juste orientation vers le tawhîd, en renouvelant l’accessibilité à la Vérité divine supérieure, là où les hommes avaient oublié leur Seigneur en se perdant dans leurs élucubrations pseudo-doctrinales, alors détachées de la vitalité divine et non plus inspirées par Lui. Ces symboles de la science sacrée, cette science dont Dieu est l’unique possesseur (al-‘Alîm), ne sont point des abstractions ou des produits de la pensée humaine, mais plutôt des supports des bénédictions célestes et des véhicules de l’Esprit qui, à travers eux, se rend accessible, car en réalité leur contenu n’est pas humain, mais divin.

En conclusion, nous vous remercions de l’attention que vous nous avez accordée. Il serait pour nous très intéressant de connaître votre avis pour contribuer à dépasser ces conditionnements qui empêchent finalement aux éléments les plus qualifiés de nos communautés respectives de collaborer concrètement. Comme écrivait le Pape Grégoire VII en 1076 dans une lettre à l’Emir d’Alger : « Nous et vous dans un mode spécial, plus que tous les païens entre eux, nous nous devons cette charité réciproque puisque nous croyons et reconnaissons, bien qu’en mode divers, l’unique Dieu et Le louons et Le vénérons chaque jour, comme Créateur des siècles et Gouverneur de ce monde. »

Ces paroles d’un Pape sont pour nous particulièrement significatives car elles rappellent la Parole de Dieu, qui dans le saint Coran s’exprime ainsi :

Dis : « Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n’adorions que Dieu, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors de Dieu. » Puis, s’ils tournent le dos, dites : « Soyez témoins que nous, nous sommes soumis. » (Coran 3 : 64)

Avec la plus haute considération et estime,

La Communauté Religieuse Islamique Italienne CO.RE.IS.

Milan, le 12 avril 2009